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DIALOGUE

NAGAE TRADITIONAL DOLLS

Atelier de poupées traditionnelles Nagae / Nagoya Sekku Kazari

Les ornements de fêtes saisonnières Sekku Kazari et les poupées Hina sont hautement chéris au Japon car ces œuvres artisanales raffinées permettent de célébrer la naissance d’un enfant ou encore de lui adresser des vœux de croissance en bonne santé. Le département d’Aichi, situé entre Tokyo et Kyoto, est un des deux principaux centres de production de poupées de l’archipel. Ces poupées, ainsi que les lanternes en papier Bonbori et les bannières Noboribata, se sont vu décerner le 15 janvier 2021 l’appellation « Nagoya Sekku Kazari » qui récompense cet artisanat traditionnel. Nous nous sommes entretenus avec le maître-artisan Shinya KITAGAWA, qui représente la deuxième génération de l’atelier Nagae de fabrication de poupées traditionnelles, et qui a remporté les premiers prix de planification et de savoir-faire au Concours régional des poupées de fêtes saisonnières du Chūbu, au centre du Japon. 

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le label d’artisanat traditionnel «Nagoya Sekku Kazari» n’a vu le jour qu’en janvier2021 ? 

Pour être désigné comme artisanat traditionnel national, un artisanat doit s’être perpétué de façon ininterrompue depuis plus d’un siècle dans une zone géographique donnée. Or, s’il est vrai que les poupées Hina étaient commandées dès la période Edo (1603-1868) pour les princesses du clan seigneurial local Owari Tokugawa, on ne peut certifier qu’elles étaient confectionnées dans la ville de Nagoya elle-même. Il est possible qu’elles aient été fabriquées ailleurs. Aucune preuve formelle de l’existence de cet artisanat à Nagoya il y a plus de 100 ans - telle qu’une inscription ou un nom d’artisan - n’a pu être retrouvée. Néanmoins, le ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie ayant officiellement reconnu l’origine séculaire de poupées de la collection du musée de Nagoya, l’appellation a vu le jour après vérification de l’existence d’une tradition artisanale transmise de façon ininterrompue jusqu’à nos jours et examen approfondi du dossier de candidature. Le syndicat professionnel se voit ainsi récompensé après une quarantaine d’années d’activités dans ce but. 

Existe-t-il des différences entre ces poupées traditionnelles de Nagoya et celles d’autres régions ? 

Le label d’artisanat traditionnel « Nagoya Sekku Kazari » concerne les poupées, mais également les lanternes en papier et les bannières décoratives. Des poupées Hina issues d’autres régions sont également labellisées, telles celles de Kyoto, Tokyo ou encore les poupées Suruga de Shizuoka et Iwatsuki de Saitama. Celles de Nagoya ont cependant la particularité d’associer l’éclat des poupées de Kyoto à la sobriété de celles de Tokyo grâce à une combinaison réussie de couleurs, de vivacité et d’éléments décoratifs. À l’origine, la production de la ville de Nagoya était destinée aux grossistes et réalisée par des « travailleurs manuels ». Les « artistes », confectionnant des poupées au détail, étaient rares. Le fait qu’ils n’inscrivaient pas leur nom sur les pièces est ainsi une des raisons qui a rendu impossible l’identification ultérieure de la période et du lieu de fabrication. 

L’atelier de poupées traditionnelles Nagae a été fondé en 1967. Qu’y fabriquez-vous exactement ? 

Le fondateur de l’atelier est M. Yoshihiko NAGAE, le père de mon épouse, qui fit son apprentissage à Nishiharu auprès d’un membre de sa famille spécialisé dans les poupées traditionnelles, après avoir été fasciné à la vue de sa dextérité. Bien qu’il soit difficile de s’installer à son compte même après dix années de formation, mon beau-père choisit la ville de Fusō pour y fonder son atelier. Depuis l’origine, le travail de confection d’une poupée se répartit entre plusieurs artisans. La tête relève d’un maître principal, tandis que les paravents décorés et les lanternes en papier sont du ressort d’autres artisans. Nous sommes quant à nous chargés du corps des poupées. Cela inclut la confection du buste, l’habillage complet (découpe, encollage, couture et agencement) et la réalisation de la posture des bras. Hormis la tête et les membres, notre atelier assure ainsi l’intégralité de la confection d’une poupée, au cours d’un processus nécessitant une centaine d’opérations. 

Vous parlez d’une dizaine d’années de formation et d’une centaine d’opérations à maîtriser, pouvez-vous nous en dire plus sur les difficultés à acquérir ces techniques ? 

Après mon mariage, et alors que j’étais employé de bureau, je suis tombé sous le charme du savoir-faire de mon beau-père et suis devenu son apprenti pendant dix ans. Son enseignement valorise les connaissances acquises par l’observation, souvent intransmissibles par les manuels et bien plus personnalisées qu’un savoir livresque, mais qui nécessitent en contrepartie un gros investissement en temps. 

S’agit-il donc d’observer le maître puis de progresser par essais successifs ? 

J’aimerais bien, mais comme les matériaux sont quantitativement limités, il n’y a pas de droit à l’erreur. Particulièrement pour la réalisation de la posture des bras qui n’accepte aucune retouche. Mon beau-père vérifie mon travail mais me guide simplement en me disant d’essayer en utilisant ma tête. Son plus beau compliment fut : « Ça me semble bien. » C’est beaucoup de pression. J’observe, j’apprends, je visualise. Même une fois la technique réussie, on ne l’acquiert véritablement que par une répétition assidue. Je suis loin d’être au bout de cette voie où la perfection n’existe pas. Mon beau-père excelle vraiment dans son art, avec une sensibilité et un style inimitables, et pourtant il découvre encore quotidiennement de nouvelles possibilités d’ajustements techniques, même après plus de 60 années de pratique. 

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